
Le manque d'efficacité, talon d'achille de la politique publique d'investissement en Algérie - Note de CARE N° 2
La nouvelle loi sur l’investissement, qui a longtemps focalisé l’attention, vient d’entrer en vigueur. Le gouvernement y a affiché les priorités qu’il compte observer dans l’orientation de la politique publique d’investissement et y a adapté les mesures de soutien dont bénéficieront les nouveaux projets d’investissement en phase avec ses choix de politique économique. Les textes réglementaires d’application de la loi ont été rapidement promulgués.
La question maintenant posée est de savoir comment faire pour que cette politique de soutien à l’investissement se traduise concrètement en termes de croissance forte et durable et qu’elle favorise en bout de course la diversification tant recherchée de l’économie algérienne.
1. Après l’étape de clarification du régime légal, CARE en appelle à l’approfondissement du débat sur la relance de l’investissement
Le réaménagement, qui vient d’être opéré, du cadre légal et réglementaire régissant l’investissement était certes nécessaire, mais non suffisant.
En soi, il s’agissait de corriger une situation anormale dans laquelle notre pays élevait des obstacles face aux investisseurs, là où tous les pays du monde mettent au point des politiques qui les encouragent et les soutiennent. Cette mise à niveau accomplie sur le registre du droit, il reste l’essentiel, à savoir travailler les autres volets de l’environnement économique de l’investissement.
Chacun sait le poids des pesanteurs bureaucratiques qui altèrent le fonctionnement de notre économie et qui, trop souvent, contrarient la mise en œuvre des politiques publiques. Et par ailleurs, nombre de questions d’ordre pratique demeurent toujours posées, touchant notamment aux difficultés d’accès au financement de l’investissement, aux incohérences des nombreuses réglementations, aux échanges extérieurs et à diverses restrictions parsemant le parcours de l’investisseur.
C’est ce débat qu’il paraît maintenant utile d’ouvrir afin que la ferme volonté de relance de l’investissement maintes fois réitérée par les autorités publiques puisse trouver une traduction opérationnelle.
2. Le véritable Talon d’Achille de la politique publique d’investissement de l’Algérie n’est pas tant celui des ressources mobilisées que celui de leur faible contribution à la croissance de l’économie nationale.
Il faut sans doute rappeler une vérité incontestable : notre pays n’a eu de cesse depuis toujours de déployer des efforts immenses en matière de mobilisation de ressources investies. Même si l’image est peu connue et peu mise en exergue, les chiffres, de ce point de vue, sont clairs et lourdement significatifs : l’Algérie fait partie des pays au monde où l’effort d’investissement est le plus élevé.
Un effort qui, toutefois, reste globalement peu efficace et a besoin de se traduire de manière beaucoup plus conséquente en termes de croissance économique sur le terrain.
C’est cette image globale que reflète très clairement le tableau 1 ci-dessous :
T1 - Effort d’Investissement & Croissance - Moyenne Période 2010-2020
Pourcentage (%) | FBCF/PIB | Croissance | |
Algérie | 44,9 | 2 | |
Chine | 44,6 | 7,2 | |
Egypte | 15,8 | 3,8 | |
Corée du Sud | 31,2 | 3 | |
Maroc | 32,9 | 3,4 | |
Nigeria | 18,3 | 3,2 | |
Arabie Saoudite | 28,4 | 2,8 | |
Sénégal | 28,4 | 4,5 | |
Tunisie | 21,3 | 1 | |
Turquie | 28,4 | 5,5 | |
Monde | 25,7 | 2,5 | |
Pays en Développement | 32,5 | 4,6 | |
Afrique | 23,3 | 3 | |
Asie | 34 | 4,7 |
Source : CNUCED
Le tableau ci-dessus compare le poids de l’investissement global en Algérie (FBCF ou Formation brute de capital fixe) en pourcentage du PIB et son impact sur le taux de croissance, avec celui d’un certain nombre de pays à travers le monde.
Comme on peut le constater, l’Algérie se situe très loin devant la moyenne des autres pays, en termes de poids du capital investi, en moyenne annuelle sur la période allant de l’année 2010 à l’année 2020. Un constat qui est valable, en réalité, sur les cinquante dernières années et pas seulement depuis 2010.
Mais au regard du niveau des ressources financières qu’elle mobilise, il est tout à fait frappant de relever à quel point le niveau de la croissance qu’elle réussit à obtenir demeure un des plus bas, comparé aux résultats moyens que ce soit en Asie, dans les économies en développement et même sur le continent africain.
Autrement formulé, et comme on peut l’observer ci-dessous, l’Algérie doit investir plus du double de ressources que la moyenne engagée dans le reste du monde et trois à quatre fois plus que dans des pays plus performants comme la Chine ou l’Egypte.
Le problème d’efficacité de l’investissement est, sans conteste, le véritable talon d’Achille de la politique économique de l’Algérie. C’est un problème que les analystes les plus sérieux pointent de longue date, de manière insistante et qui mérite de faire l’objet d’une attention plus soutenue de la part des politiques économiques gouvernementales. S’il est un domaine qui conditionne la qualité de la croissance future de l’économie algérienne et où, par conséquent, des inflexions significatives devraient être attendues au cours des prochains mois et des prochaines années, c’est bien celui-là.
Cette contrainte d’inefficacité de l’investissement étant structurelle, les réponses à y apporter sont nécessairement complexes et multiformes, et requièrent des analyses plus affinées de la part des institutions publiques qui en ont la charge. Toutefois, le simple examen de quelques données globales disponibles concernant la politique nationale d’investissement suivie jusque-là laisse transparaître quelques axes de travail prioritaire, parmi lesquels celui de son orientation sectorielle et des modalités d’allocation des ressources financières qui lui sont consacrées.
3. L’autre facette de l’inefficacité de la politique d’investissement suivie jusque-là a trait à la perte de substance fortement inquiétante de l’industrie algérienne.
Il s’agit là d’un défi majeur auquel l’Algérie va devoir faire face au cours des prochaines années.
Le tableau 2 ci-dessous dévoile à ce sujet une réalité lourdement préoccupante.
T-2 : Part de Valeur Ajoutée de l’Industrie dans le PIB - Moyenne Période 2010-2020
Pourcentage | Industrie (*) | Construction |
Algérie | 4,3 | 10,9 |
Chine | 29,3 | 6,9 |
Egypte | 16,5 | 5,2 |
Corée du Sud | 29,3 | 5,4 |
Maroc | 17,4 | 6,2 |
Nigeria | 9,2 | 4,1 |
Arabie Saoudite | 11,7 | 5,4 |
Sénégal | 18,5 | 2,7 |
Tunisie | 16,4 | 4,4 |
Turquie | 19,3 | 8,2 |
Monde | 16,7 | 5,6 |
Pays en développement | 20,6 | 6,7 |
Afrique | 11 | 5,8 |
Asie | 22,9 | 6,4 |
Source : CNUCED (*) Fabrication Industrielle, hors Industries Extractives
Comme l’illustrent notamment les données du tableau ci-dessus, la situation est, en réalité, encore plus marquée et plus inquiétante quand on la compare à celle prévalant dans un certain nombre de pays du monde en développement.
On constate ainsi que la part de valeur ajoutée de l’industrie de transformation dans le PIB est à un niveau d’affaissement extrême, très loin derrière les normes en vigueur à travers le monde, dans le groupe des pays en développement, et même par rapport à la situation prévalant sur le continent africain. Ces données chiffrées, couvrant une période substantielle, soit les années 2010 à 2020, reflètent une réalité fondamentalement préoccupante de recul du poids de l’industrie au sein de notre économie, y compris du reste en y incluant l’industrie des hydrocarbures. Par-delà, elles sont surtout le reflet des errements de la politique publique d'investissements des vingt (20) dernières années et, tout particulièrement, des conditions globales d’allocation des ressources en direction de l’investissement.
Si, en effet, les activités de fabrication industrielle se sont à ce point atrophiées, c’est avant tout parce qu’elles ont été totalement négligées, jusqu’à constituer l’angle mort de la politique d’investissement en Algérie : une situation sans doute pas réellement voulue, mais qui est simplement la résultante des dérèglements en amont dans l’organisation du système financier national.
Derrière la perte de substance des activités industrielles, se pose la question récurrente de la réforme du système financier et bancaire algérien, reportée à chaque fois depuis trente années, qui est posée : il faut bien comprendre que la mainmise excessive du Trésor public sur la ressource disponible a créé et crée toujours un effet d’éviction qui contraint lourdement le financement des investissements dans les activités productives hors hydrocarbures (ceux du secteur privé en particulier), et qui bloque, ce faisant, toute politique réfléchie de diversification de l’économie algérienne.
Ce problème majeur demeure plus que jamais d’actualité, c’est celui que les autorités compétentes se doivent d’adresser en toute priorité.
4. Le poids de la dépense publique, outre qu’il contraint le développement de l’industrie, est à l’origine de l’hypertrophie du secteur de la construction
Comme on peut l’observer au tableau 3 ci-dessous, et alors que le secteur industriel s’est complètement étiolé, celui de la construction a gonflé considérablement.
T-3 : Valeur Ajoutée de la Construction dans le PIB - Moyenne 2010-2020
Pourcentage | Industrie (*) | Construction |
Algérie | 4,3 | 10,9 |
Chine | 29,3 | 6,9 |
Egypte | 16,5 | 5,2 |
Corée du Sud | 29,3 | 5,4 |
Maroc | 17,4 | 6,2 |
Nigeria | 9,2 | 4,1 |
Arabie Saoudite | 11,7 | 5,4 |
Sénégal | 18,5 | 2,7 |
Tunisie | 16,4 | 4,4 |
Turquie | 19,3 | 8,2 |
Monde | 16,7 | 5,6 |
Pays en développement | 20,6 | 6,7 |
Afrique | 11 | 5,8 |
Asie | 22,9 | 6,4 |
Source : CNUCED (*)-Fabrication Industrielle, hors Industries Extractives
En moyenne annuelle et sur la période allant de 2010 à 2020 (incluses), la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière représente un peu moins du tiers de celle du secteur de la construction, une situation totalement atypique en comparaison avec ce qui a cours partout à travers le monde.
Le poids de ce dernier dans le PIB représente, comme on peut l’observer, près du double de la moyenne observée ailleurs. Soulignons par ailleurs que le poids relatif du secteur de la construction dans le PIB poserait un problème moindre s’il était le reflet de son dynamisme et de sa compétitivité. Ce qui est loin d’être le cas dans la mesure où, comme on l’a vu au cours des vingt dernières années, les grands chantiers d’infrastructure se sont trouvés, le plus souvent, réduits à faire appel aux moyens de réalisation étrangers.
Cette situation devrait avant tout amener à des interrogations sur la nature et la qualité des choix budgétaires qui sont opérés jusque-là, des choix dont on observe qu’ils ont induit un gonflement des dépenses d’infrastructures publiques, sans le préalable d’une réelle maîtrise des coûts de réalisation. Des choix qui, au total, auront été opérés au détriment de l’investissement dans les activités productives, industrielles ou agricoles et, in fine, de la diversification de l’économie nationale.
Eléments de conclusion
C’est ce débat que CARE tient à alimenter. |
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