Article 118 de la LF 2021 : De l’emprunt extérieur coûteux

Notes

PAR : CARE
07 Janvier 2021

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Article 118 de la LF 2021 : de l’emprunt extérieur qui va couter cher

1- Le 12 octobre 2020, CARE avait publié une mise en garde sur une disposition du projet de la loi des finances. En dépit des arguments très sérieux qu’il avait mis en avant, CARE n’a pas été écouté et cette disposition figure aujourd’hui bel et bien dans l’article 118 de la loi des finances qui a été publié.

 

2- Cet article 118 de la Loi de Finance 2021 est ainsi rédigé :

« En dehors des opérations d’importation portant sur :

-         Les produits stratégiques ;

-         Les produits alimentaires de large consommation ;

-         Les produits ayant le caractère d’urgence pour l’économie nationale ;

-         Les produits importés par les institutions ou administrations de l’Etat ;

-         Produits importés par les entreprises publiques économiques.

 

Le paiement des opérations d’importation des produits destinés à la vente en l’état, s’effectue au moyen d’un instrument de paiement dit « à terme » payable à quarante (45) jours à compter de la date d’expédition des marchandises.

Le Ministre chargé des finances précisera, en tant que de besoin, les modalités d’application des dispositions du présent article ».

 

3- Rappelons que l’’exposé des motifs du projet de la loi des finances précisait que l’objectif recherché est de donner le temps aux douaniers de faire des vérifications avant le paiement effectif de l’importation.

Or, ainsi que CARE l’avait soutenu, cet objectif ne peut être sérieusement poursuivi. Utiliser le terme de 45 jours d’un paiement par crédit ou remise documentaire pour permettre aux douanes de faire des vérifications et éventuellement bloquer le transfert de fonds au terme des 45 jours n’est pas réalisable. Une lettre de crédit est un engagement non du client, mais de la banque, envers les banques correspondantes à l’international. De tels engagements ne peuvent être rompus sans altérer sérieusement la signature de nos banques. Cela aura des conséquences sur notre capacité à transiger avec l’étranger et sur le coût de telles transactions.

 

4- Il est clair, aux yeux de CARE comme de tous les experts sérieux que le véritable objectif poursuivi est celui de protéger la balance des paiements en gagnant l’équivalent de 45 jours sur le financement annuel de notre balance des paiements. Sur ce point précis, CARE persiste et signe :   l’altération de la signature financière de notre pays est un dommage très grave dont l’impact négatif est sans commune mesure avec le bénéfice réellement escompté pour nos réserves de change.   

 

5- Cette disposition est, par ailleurs, porteuse de menaces futures car elle consiste à les contraindre à importer leurs achats à crédit en devises dans le contexte de dévaluation du dinar qui s’annonce inéluctable. Notre pays avait déjà eu à adopter la même mesure en 1994. Des entreprises avaient alors été contraintes d’importer leurs intrants à crédit (notamment avec l’emprunt « Beregovoy ») alors qu’elles souhaitaient payer leurs achats en devises sans recours à un quelconque crédit. On leur avait fait subir, contre leur volonté, un risque de change. Lorsqu’advint la dévaluation, elles se sont retrouvées avec des dettes quasiment doublées. Beaucoup de nos entreprises productrices de l’époque n’y ont pas survécu. D’autres sont restées avec des bilans plombés de dettes gonflées d’agios et intérêts de retards qu’elles subissent encore, 26 années plus tard. Ne répétons pas les erreurs du passé.

5- Enfin, ne perdons pas de vue que nos entreprises, auxquelles on demande publiquement de se faire les intermédiaires en matière de financement de leurs importations, se verront inévitablement appliquer des surcoûts sur leurs achats. Leur partenaire étant amené à chaque fois à se couvrir auprès de sa banque, laquelle lui demandera d’appliquer des surprix disproportionnés par rapport au coût réel d’un crédit commercial dûment négocié avec le concours d’un banquier professionnel. Etant en position de faiblesse et contrainte par ses propres autorités, l’entreprise algérienne n’aura d’autre issue que d’endosser de tels surcoûts.

 

6- En guise de conclusion

Si la réelle motivation de cette mesure est de différer le paiement des importations et ainsi obtenir un financement de la balance des paiements de quelques milliards de dollars (un mois d’importations), CARE rappelle que n’est pas là, la bonne méthode. Nous sommes en réalité face à un emprunt extérieur qui ne dit pas son nom coutera beaucoup plus cher qu’un simple emprunt extérieur souverain ou qu’un crédit acheteur classique. Il ne sert à rien de tourner autour du pot : si notre pays a besoin de financer ses importations, il devrait mettre à contribution le professionnalisme de ses banquiers et non pas demander aux entreprises de se substituer à eux, en exerçant un métier qui n’est pas le leur.

L’article 118 de la loi des finances 2021 procède d’une démarche erronée. Il n’est pas trop tard pour reconnaitre l’erreur et pour la corriger.

CARE. Janvier 2021