Equipement rénové : Autopsie d’une réglementation absurde

Notes

PAR : CARE
12 Février 2023

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Au moment où les autorités économiques redoublent d’efforts en vue de relancer durablement la croissance en desserrant l’étau bureaucratique sur l’acte d’investissement, CARE tient à compléter son dossier consacré à la nouvelle législation promulguée au cours des derniers mois, en mettant en exergue la persistance de cette réglementation absurde qui continue de s’appliquer aux investisseurs souhaitant importer des équipements rénovés plutôt que des équipements neufs.

CARE avait déjà eu à dénoncer un dispositif d’essence purement bureaucratique qui, sous couvert d’autorisation préalable de l’importation d’équipements rénovés et de soutien à l’investissement, est en soi «une véritable régression qui n’a pour seul ressort que celui de favoriser les achats d’équipements neufs et qui ne sert en aucune façon les intérêts des entreprises, encore moins ceux de l’économie nationale ».  

Pour illustrer cette persistance des habitudes bureaucratiques, il suffit de prendre la mesure concrète du véritable parcours du combattant imposé par la réglementation à l’importation d’un équipement industriel rénové.

C’est ce qu’illustre parfaitement l’encadré ci-dessous :

Liste des tâches à accomplir par l’investisseur souhaitant importer un équipement industriel rénové:

1- Fournir des documents justifiant de l’existence d’infrastructures appropriées à la mise en exploitation de la chaîne ou de l’équipement de production importé ;

2- Fournir une fiche technique détaillée de la chaîne et/ou de l’équipement de production rénovés ;

3- Faire appel à un huissier de justice pour l’établissement de documents justifiant d’une infrastructure appropriée à la mise en exploitation de la chaîne ou de l’équipement à importer ;

4- Produire un descriptif détaillé de la chaîne et/ou de l’équipement de production rénové faisant ressortir, notamment, le plan de la chaîne de production, les différents produits fabriqués par la chaîne de production ou les équipements, les capacités de production, les caractéristiques techniques des équipements et des chaînes de production, le pays d’origine de la chaîne ou des équipements de production, le lieu d’exploitation de la chaîne ou de l’équipement de production ;

5- Faire rénover, par un professionnel ou une société spécialisée, la chaine ou l’équipement à importer ;

6- Faire évaluer la conformité de la rénovation par un organisme accrédité par ALGERAC ou signataire d’un accord multilatéral ou bilatéral d’accréditation mutuelle avec ALGERAC à l’effet de la délivrance d’un certificat de rénovation faisant ressortir la durée de vie additionnelle de la chaine ou de l’Equipement rénové

7- Produire une facture pro-forma accompagnée de la facture d’achat initiale par un vendeur agréé en faisant ressortir les numéros de série de tous les éléments composant la chaîne ;

8- Produire un document certifiant l’acquisition des chaînes et équipements soit aux enchères ou auprès de l’entité ayant cédé les actifs ou auprès d’une entreprise cédante ;

9- Se faire établir par un établissement spécialisé un document justificatif des essais à vide concluant ;

10- Se soumettre, avant notification de l’autorisation de dédouanement établie par le ministre de l’industrie, à des visites d’inspection effectuées par les services concernés de la direction de wilaya chargée de l’industrie, territorialement compétente, afin de vérifier, au regard des documents fournis, la conformité des infrastructures existantes susceptibles d’accueillir les chaines et équipements rénovés objet de la demande d’autorisation et d’établissement d’un rapport descriptif des lieux et des infrastructures, faisant partie du dossier justifiant l’octroi de l’autorisation de dédouanement ;

11- A ces pièces s’ajoute, dans le cas d’une cession de chaînes et d’équipements de production rénovés par une société mère étrangère à une de ses filiales de droit algérien, la fourniture de documents comptables faisant ressortir le coût et l’âge des équipements ;

12- Engager un notaire à l’effet de certifier l’ensemble des pièces du dossier à constituer et à soumettre à l’appui de la demande d’autorisation à adresser au ministère de l’industrie ;

APRES DEDOUANEMENT:

13- Engager un expert assermenté pour attester de la mise en exploitation de la chaine ou de l’équipement rénovés après son dédouanement, à transmettre, par l’opérateur concerné, au ministre chargé de l’industrie dans le mois qui suit son établissement ;

14- Recevoir les visites d’inspection des services territoriaux de l’industrie et des autres départements ministériels chargés de vérifier le bon fonctionnements des équipements rénovés dédouanés.

 

2- Quand on examine de près cette chaine complexe et impressionnante de procédures requises pour une simple importation d’équipement industriel, on peine à en comprendre la signification réelle et les motivations, autres que celles d’une pure logique bureaucratique. On ne peut alors s’empêcher de se poser les quelques questions suivantes :

 

(i)- Comment comprendre qu’une administration en arrive à imposer tout cet attirail incompréhensible pour l’importation d’un bien aussi banal qu’un simple équipement industriel, au seul motif qu’il n’est pas neuf et qu’il ait été juste rénové ?

(ii)- Pourquoi instituer autant de contraintes et de vérifications à l’importation d’équipements rénovés, telles que : justification d’une infrastructure appropriée ; justification d’essais concluants ; certification par notaire des pièces d’un dossier administratif ; attestation d’exploitation après dédouanement ; inspection administrative du bon fonctionnement d’un équipement importé.

(iii)- Si toutes ces vérifications sont réellement utiles et nécessaires, pourquoi ne sont-elles pas à fortiori exigibles à l’importation des équipements neufs ?   

(iv)- Pourquoi ces contraintes réglementaires à l’importation d’équipements rénovés ne sont-elles applicables que dans le cas de notre pays ?

(v)- Quel intérêt pour l’Algérie de favoriser les importations d’équipements neufs, nécessairement plus coûteux, qu’elle ne produit pas elle-même ?

(vi)- Pourquoi crée-t-on autant d’obstacles face aux investisseurs algériens qui souhaiteraient tirer bénéfice des ventes d’équipements mis aux enchères suite aux fermetures de sites industriels multiples dans les pays développés ?

(vii)- En quoi l’administration du ministère de l’Industrie est-elle plus compétente qu’un investisseur qui engage ses propres fonds, pour décider de la viabilité technique d’un équipement ?

(viii)- Enfin et si, comme cela quelquefois suggéré, toutes ces restrictions sont motivées par des soupçons de transferts illicites de devises, en quoi tous ces freins bureaucratiques sont-ils une réponse appropriée ?

En définitive, on a beau s’interroger, il est difficile de comprendre les raisons de cet acharnement administratif surtout que, hormis pour un nombre limité de cas, nos investissements industriels ne sont pas des innovations et les procédés et équipements auxquels ils font appel sont en général en usage depuis des années.

 

3- Le plus surprenant, dans cette situation, c’est que toute cette réglementation complexe qui a été mise en place au cours des deux dernières années contredit frontalement les dispositions de la loi en vigueur

Observons en effet que la loi des finances complémentaire pour 2020[1] avait clairement procédé à l’autorisation pure et simple du dédouanement des équipements rénovés, au même titre donc que pour les équipements neufs. C’est la réglementation qui prend le relai et qui érige un véritable mur de procédures bureaucratiques pour encadrer leur importation.

L’acharnement bureaucratique est d’autant plus évident ici que nous sommes en présence d’un cas tout à fait inhabituel où une simple règlementation intervient, à travers trois décrets successifs pris en 2020, 2021 et 2022[2] pour contrecarrer une liberté expressément consacrée par la loi.

Dans la pratique, les obstacles sont tellement nombreux et complexes que l’on peut légitimement se demander si une opération d’importation d’équipements rénovés est réellement praticable. De fait, on peut même considérer qu’une telle opération est quasi-impossible à réaliser pour le cas d’acquisition d’un bien d’équipement vendu aux enchères publiques, ce qui représente souvent l’opportunité la plus intéressante pour un investisseur. 

De plus, l’avantage économique que peut représenter, pour ce dernier, l’achat d’un équipement bon-marché à l’étranger sera presque toujours totalement annihilé par les délais et les surcoûts importants que lui occasionnera la mise en conformité à toutes les exigences de la réglementation nationale.

 

4- En conclusion, et afin de réellement stimuler l’investissement des petites PME privées nationales et de favoriser la diversification de l’économie nationale, il semble recommandé que cette réglementation inutilement contraignante soit démantelée à bref délai.

Aux yeux de CARE, cette réglementation superfétatoire est l’exemple parfait de ces survivances bureaucratiques que les autorités, tout autant que les acteurs économiques nationaux, ne cessent de dénoncer.

Notre pays n’a pas vocation à encourager les exportations d’équipements neufs des pays étrangers sur le territoire national. A un moment où les autorités économiques veulent tout mettre en œuvre pour relancer la croissance, réduire la facture des importations et développer la production locale, nos administrations devraient s’attacher à d’autres tâches de régulation que cette forme de surveillance futile d’une opération banale de dédouanement d’un équipement importé.

CARE- Février 2023

 

[1] Articles 57 & 58 de la Loi des finances complémentaire pour l’année 2020 (JO 33-2020)

[2] Décrets N° 20-312 du 15 novembre 2020 (JO 67-2020), N° 21-200 du11 mai 2021 (JO 38-2021) et N° 22-100 du 14 mars 2022 (JO 18-2022)

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